Depuis que le premier ministre du Canada Justin Trudeau a annoncé au monde que « le Canada est de retour », après son élection en 2015, le monde surveille notre premier ministre, féministe autoproclamé, pour voir s’il va réellement ramener le pays sur la scène internationale. Jusqu’à maintenant, il a mis en place un cabinet paritaire hommes-femmes et lancé une « Politique d’aide internationale féministe ». Cette année, le Canada sera encore sous les projecteurs en étant l’hôte du G7, tout en faisant campagne pour un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies en 2021.
À Développement et Paix – Caritas Canada, nous avons suivi le dévoilement de la politique étrangère du cabinet Trudeau pendant toute une semaine en juin dernier. Depuis notre fondation il y a maintenant plus de 50 ans, les femmes ont été au cœur de nos programmes, tant dans les pays du Sud qu’au sein de notre mouvement ici, au Canada. Même si les femmes sont souvent aux prises avec des défis majeurs de discrimination, de violence et d’injustice, elles restent au cœur du changement dans les enjeux qui nous préoccupent : la justice écologique, la paix et la réconciliation, la démocratie et la participation citoyenne. Au moment du dévoilement de la nouvelle politique étrangère du Canada, nous étions à pied d’œuvre, dans nos bureaux à Montréal, pour finaliser notre campagne sur le rôle transformateur des femmes dans la construction de la paix, lancée en septembre à travers le Canada. Intitulée Que la paix soit avec elle, cette campagne a mis les femmes à l’avant-plan de toutes nos campagnes en 2017.
Nous étions impatientes et impatients de voir si le gouvernement allait augmenter le financement de l’aide internationale, particulièrement dans le domaine de la construction de la paix.
La semaine a débuté avec un discours très senti de la ministre des Affaires étrangères, Mme Chrystia Freeland, sur l’engagement du Canada à construire un monde pacifié, plus prospère et plus durable. Dans ce discours, la ministre Freeland a annoncé le nouvel investissement massif du gouvernement pour la Défense, mais en ne faisant aucunement mention d’une augmentation pour l’aide au développement international. Plus tard dans la semaine, le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, présentait la politique canadienne de la Défense, qui promettait d’augmenter le budget militaire de 70% en dix ans. Cet engagement s’est fait dans un contexte où le Canada venait de finaliser la vente de blindés légers à l’Arabie Saoudite, pour un montant de 15 milliards de dollars.
Le lendemain, la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, dévoilait sa Politique d’aide internationale féministe. Cette politique allait dans la direction déjà prise par de nombreuses organisations canadiennes qui avaient fait le choix de mettre les femmes au cœur de leur travail.
Avec cette nouvelle politique, le Canada rejoint certains pays d’Europe du Nord ainsi que l’Australie qui ont des politiques de développement international féministes et centrées sur le genre, mais celle du Canada est la première où un pays décide de concentrer presque entièrement son aide au développement et son aide humanitaire à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Cette politique valorise un travail en profondeur en matière d’égalité des genres, dont la prévention et la réponse à la violence sexuelle et basée sur le genre, et veut soutenir les organisations et les mouvements pour les droits des femmes, avec un financement spécial pour les organisations de femmes à la base. L’une des priorités de cette politique féministe, pour une paix et une sécurité inclusive, inclut le soutien d’organisations des droits des femmes engagées dans les processus de paix; la promotion des droits des femmes dans la construction des États post-conflits; et la lutte à la violence sexuelle dans les zones de conflits. La politique rappelle aussi les rôles que les garçons et les hommes peuvent jouer pour contrer les stéréotypes liés au genre et transformer les rôles et les relations entre les femmes et les hommes.
Le gouvernement a fixé des cibles de financement ambitieuses pour cette transition vers l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes. D’ici cinq ans, 95% du budget de l’aide internationale bilatérale du Canada sera soit centré sur l’égalité des genres ou inclura cette préoccupation. Étant donné la stagnation actuelle du budget d’aide internationale au développement à 5,3 milliards de dollars, cette rapide transition en a amené plusieurs à se demander de quelle manière les partenaires à long terme seront affectés par cette soudaine diminution du financement des secteurs traditionnels de l’aide. Situé à 0,26% de son RNB (revenu national brut), le budget de l’aide internationale canadienne est toujours très en deçà de la cible des Nations Unies qui se situe à 0,7% du RNB. Par ailleurs, nous avons été consternés par la décision du gouvernement Trudeau d’augmenter le budget de la Défense de 70%, soit presque 14 milliards de dollars CAD pour les 10 prochaines années. Si le gouvernement croit vraiment que l’autonomisation des femmes est un catalyseur pour la paix, pourquoi a-t-il choisi d’investir si massivement dans la défense?
La campagne de Développement et Paix rappelait la promesse contenue de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité, adoptée en 2000, qui reconnaissait la contribution majeure des femmes à la construction de la paix, et soulignait l’importance d’une participation significative, pleine et égale des femmes à tous les niveaux des processus de paix. Malheureusement, 17 ans plus tard, partout dans le monde, tant dans les pays du Nord que dans les pays du Sud, l’expertise des femmes est toujours sous-estimée, leurs organisations sous-financées, et elles sont presque toujours exclues des processus de paix formels. Étant donné le nombre croissant de conflits et leurs répercussions dramatiques sur les populations civiles, particulièrement sur les femmes, il nous faut trouver d’autres solutions pour promouvoir la paix. Un investissement pour les femmes pourrait certainement contribuer à un monde plus pacifique.
En novembre dernier, le Canada a lancé son Plan national d’action consacré aux femmes, à la paix et à la sécurité, une étape dans la mise en œuvre de la Résolution 1325. Résultant d’une consultation en profondeur de la société civile, ce plan d’action offre un cadre de travail pour une approche « pangouvernementale », devenue un mot clé du gouvernement Trudeau pour tenter de promouvoir la cohérence dans les prises de décision. Toutefois, il n’y a toujours pas d’augmentation du financement pour la mise en œuvre de sa politique d’aide féministe internationale.
La nouvelle politique étrangère montre clairement que le Canada a choisi de mettre de l’avant le pouvoir militaire par rapport au développement international. Le pape Paul VI déclarait il y a 50 ans, dans Populorum Progressio que « le développement est le nouveau nom de la paix ».
En dépensant presque quatre dollars pour la défense, contre un dollar pour le développement, le Canada ne prend pas une approche progressive pour construire un monde plus pacifique. Ce ratio devrait d’ailleurs continuer à pencher du côté des dépenses militaires selon les plans du gouvernement.
Si le Canada veut se présenter comme un leader mondial avec son approche féministe au développement, il devra certainement augmenter le financement de l’aide au développement. Il devra aussi démontrer que son approche au commerce et à la défense ne vient pas défaire le bon travail que réalise le Canada en matière de développement. Au moment de lancer notre campagne du Carême 2018 en faveur de la paix, Développement et Paix continuera d’interpeller notre gouvernement pour qu’il exerce son leadership et s’engage concrètement à bâtir un monde plus pacifique, fondé sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
Photo : Elana Wright avec la ministre Bibeau © Développement et Paix