Instabilité politique et violence en Haïti, réflexions de nos partenaires

Par Romina Acosta Bimbrera, conseillère en communications et relations publiques

Un contexte difficile

Haïti est le pays le plus pauvre des Caraïbes. Par sa localisation, il est très vulnérable aux catastrophes naturelles. Depuis quelques années, la population a dû faire face à plusieurs tremblements de terre et ouragans.

Actuellement, le peuple haïtien est confronté à la crise la plus grave depuis la chute du régime Duvalier en 1986 : les gangs de rue armés contrôlent près de 80 % de la capitale Port-au-Prince, quelque 4 700 prisonniers sont en liberté après l’assaut de deux prisons par des gangs, et un nouveau conseil présidentiel de transition, dont la tâche est de rétablir l’ordre dans le pays, est à peine en place. 

En moins d’une semaine, les attaques des gangs ont provoqué le déplacement de plus de 15 000 personnes. Parmi les besoins urgents figurent l’accès à la nourriture, aux soins de santé, à l’eau et aux infrastructures d’hygiène, et le soutien psychologique. Plus de 160 000 personnes sont actuellement déplacées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. 

Selon le Programme Alimentaire Mondial, plus de quatre Haïtien·ne·s sur dix souffrent d’une grave insécurité alimentaire et quelque 1,4 million de personnes sont au bord de la famine.

Aux quatre coins du pays, Jacmel, Cap-Haïtien, les Cayes et Port-au-Prince, quatre de nos partenaires continuent à travailler courageusement au service des femmes, des hommes et des enfants haïtiens. Ils sont les victimes innocentes des politiciens corrompus qui ont engendré les gangs et d’une communauté internationale qui a trop longtemps soutenu ces mêmes dirigeants. 

La voix de nos partenaires

Développement et Paix – Caritas Canada est présent en Haïti depuis les années 70. Nous travaillons côte à côte avec les organisations locales pour soutenir des projets faits par et pour la population haïtienne.

Nos partenaires incluent :

  • Fanm Deside, qui accompagne les femmes victimes des violences basées sur le genre et sensibilise la population dans le sud-est sur la situation des femmes ;
  • IRATAM qui œuvre principalement au nord avec les femmes paysannes pour renforcer leur résilience et leur autonomie, en soutenant la production de volailles et d’œufs, de fruits et de légumes ;
  • ITECA, qui travaille pour renforcer la paysannerie et ses organisations et dont le bureau est à Port-au-Prince ;
  • La Rosée, une entreprise à base d’économie sociale et solidaire mise sur pied par la Fondation haïtienne pour le relèvement et le développement, qui veille au renforcement de la sécurité alimentaire à travers la production de pintades et dont le bureau est situé à Croix-des-Bouquets, en plein milieu du conflit.


Avec Haïti en état d’urgence et sans une date d’élections en vue, plus que jamais nous souhaitons amplifier la voix de nos partenaires pour dénoncer la situation et informer la population canadienne de leurs réflexions.

Ils ont tous en commun le sentiment de dangerosité présent pour leur personnel à l’heure d’effectuer leur travail. Avec le blocage des routes et les kidnappings quotidiens, il est devenu très difficile, voire impossible, pour eux de poursuivre leurs activités.

À la fin février, le commissariat Bon Repos a été pris d’assaut par de bandits lourdement armés qui ont tué quatre policiers. Celui-ci est situé au centre de la région plus contrôlée par les gangs de rues (Croix-des-Bouquets) et juste à 4km du bureau de La Rosée. Leur équipe a été grandement traumatisée à cause de la proximité de l’attaque.

La présence en continu des gangs de rues fait en sorte que nos partenaires ne peuvent pas se déplacer et leurs activités prennent du retard. Jusqu’à la semaine dernière, ils prenaient l’avion pour aller dans le Nord ou Sud d’Haïti, mais le blocage à Port-au-Prince a arrêté ce moyen de déplacement. Ceci a également eu comme conséquence une flambée des prix, car il ne reste que la République dominicaine pour les approvisionnements de carburant et de groupes électrogènes, dénonce IRATAM.   

L’équipe d’ITECA pour sa part, a dû adapter leur horaire et leur place de travail afin de mieux gérer les ressources à cause de la pénurie généralisée. Elle travaille actuellement pour trouver un équilibre entre l’urgence, le développement et la paix pour fournir un accompagnement alternatif aux associations et aux communautés.

Deux membres de l’équipe du Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement (GAFE), un autre partenaire, sont présentement bloqués à Hinche, dans le Plateau central. Ils nous racontent « Aujourd’hui un billet d’hélicoptère de Port-au-Prince à Santo-Domingo se monnaye 12 000 à 15 000 USD (…) Les rues de la zone métropolitaine sont désertées, les habitant·e·s restent prostré·e·s chez eux, à l’affût du moindre son ou mouvement inhabituel. (…) Alors que tout le monde cherche à fuir Port-au-Prince, nous-mêmes nous ne demandons qu’à rentrer chez nous pour retrouver nos proches. »

Une situation humanitaire catastrophique

La situation des femmes a toujours été compliquée en Haïti, mais la crise actuelle « s’accompagne d’une féminisation alarmante de la pauvreté dans un pays où la femme représente l’épine dorsale de l’économie familiale.  Les femmes sont violées, kidnappées et décapitalisées (…) Aujourd’hui nous sommes limités dans nos actions, le contexte fragilise les gains que nous avons eus pour faire respecter nos droits. » Déclare Marie-Ange Noël, coordonnatrice de Fanm Deside.

Une des grandes conséquences de la crise est l’augmentation sévère de l’insécurité alimentaire car la nourriture se fait de plus en plus rare. Celle-ci touche également l’alimentation des volailles par la pénurie de grains, principalement due à la fermeture de la frontière avec la République dominicaine.

Nos partenaires se voient dans l’obligation de montrer leur résilience et d’adapter leur travail, Famn Deside a mis sur pied « un programme de formation sur les droits humains, droits des femmes, le genre, les violences de genre et l’égalité entre les sexes (…) qui a eu cet effet positif de renforcer les capacités des groupements de base à questionner la gouvernance du pays quant à l’obligation de garantir et de faire respecter les droits de la personne dans le pays. »

L’espoir d’un meilleur avenir

Malgré la gravité des circonstances, nous avons demandé à nos partenaires comment ils voyaient le futur proche et quels étaient leurs vœux pour l’avenir.

« Le soutien de Développement et Paix nous encourage à tenir le coup », s’est exprimé La Rosée, dont les plus grands espoirs « sont la stabilité et la revitalisation des institutions dans un avenir pas trop lointain, afin de trouver une solution durable à cette crise qui ronge le pays. »

ITECA compte sur la résilience du peuple haïtien et espère « qu’une éventuelle issue à la crise totale actuelle devra forcément intégrer un véritable plan ou programme de relèvement des communautés. »

« Il faut que les pressions (à l’international) se poursuivent, afin que les rapports de force permettent une alternative viable et bénéfique pour le pays. » Souhaite IRATAM.

Pour sa part, Fanm Deside aimerait « mettre en place un gouvernement d’unité nationale avec un objectif spécifique d’établir la paix et la sécurité, organiser des élections et mettre en place un apaisement social. »

En toute solidarité, nous continuerons à soutenir la population et nos partenaires, car leur travail est essentiel pour aider le peuple haïtien à exploiter leur plein potentiel et retrouver de meilleurs jours.

PARTAGER LA NOUVELLE

Effectuez votre recherche

Restez informé·e

Ne manquez rien sur le travail de nos partenaires internationaux ou sur nos campagnes de sensibilisation et de mobilisation.

Inscrivez-vous dès maintenant à notre infolettre.