Au-dela de l’économie: humaniser l’action climatique

Par Kathleen Cross, Chargée de campagne – plaidoyer et mobilisation

Pêcheur Alexandre et sa fille Alexandra en face de leur maison détruite après le typhon Haiyan en 2013. Eigueboy, île de Coron, Palawan, aux Philippines.

Comme il reste très peu de temps pour éviter les effets catastrophiques des changements climatiques, il est impératif que les négociatrices et les négociateurs de la COP26 tentent d’obtenir un changement fondamental en s’éloignant des fausses solutions qui protègent les intérêts du marché et le statu quo. 

Pour protéger la dignité de toutes celles et tous ceux qui partagent cette planète, les droits de la personne doivent être au centre des politiques climatiques. Malheureusement, cet aspect est souvent négligé lors des négociations politiques qui ont tendance à se concentrer sur la seule dimension économique.  

Humaniser l’analyse et l’action climatique 

Le changement climatique ravage déjà de nombreuses communautés, coûtant des vies, détruisant des écosystèmes et forçant les déplacements. Si une certaine restauration écologique est possible, de nombreux changements demeurent irréversibles.  

Les COPs précédentes ont défini le concept de pertes et préjudices dans le cadre du mécanisme international de Varsovie et du Réseau de Santiago, mais ceux-ci n’ont pas encore été utilisés pour fournir des mesures ou des compensations efficaces. S’il est bien appliqué, le principe des pertes et préjudices serait un moyen éthique de faire face aux répercussions de l’inaction climatique sur les communautés du Sud ainsi qu’aux dommages irréversibles qu’elle engendre. 

La CIDSE note que les pertes et préjudices devraient être considérés, au même titre que les émissions, comme une mesure de l’impact humain du changement climatique et des actions prises pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. La COP26 doit convenir d’un indicateur de résultat pour permettre aux pertes et préjudices d’être mis en œuvre immédiatement.   

Le financement des pertes et préjudices doit également être une priorité permanente lors des COP, tout comme l’adaptation et l’atténuation. La COP26 devrait également entériner le principe du pollueur-payeur, en taxant les bénéfices des entreprises polluantes afin de contribuer aux pertes et dommages causés par leurs actions ou inactions.  

Fausses solutions 

La géo-ingénierie, le captage et le stockage du carbone ainsi que les marchés du carbone ne s’attaquent pas à la cause profonde du problème, à savoir qu’une petite partie des habitants de la Terre, y compris les Canadiennes et les Canadiens, consomment plus que leur juste part des ressources et produisent plus d’émissions notre planète ne peut en tolérer. 

Le concept de « salut technologique » donne de faux espoirs dans des processus non éprouvés pour résoudre un problème qui, étant d’origine humaine, exige des solutions humaines. L’Alliance des Réseau Ecclésiaux pour l’Écologie Intégrale (ENA) estime que « la COP26 offre une opportunité unique de changer de cap et d’entreprendre la transition vers un nouveau système social, économique et culturel qui met fin à nos formes et structures injustes envers les personnes et la nature. » 

Dans Laudato Si’, le pape François nous appelle à résister au paradigme technocratique et à nous connecter aux autres, non pas simplement par des moyens numériques facilement défilés et ignorés, mais par des moyens qui reconnaissent pleinement l’esprit humain et la dignité innée de chaque personne. Alors que les politiques climatiques sont discutées à la COP26, nous devons veiller à ce que les personnes ne soient pas réduites à des pions censés s’adapter aux plans économiques et politiques et à ce que le développement humain intégral soit au centre des actions climatiques.  

Les solutions à cette crise ne se limitent pas à la réduction des tonnes de CO2, mais commencent par un engagement collectif à changer radicalement nos modes de vie et à cesser toute activité nuisant à l’environnement et à ceux qui le défendent. La solution devrait inclure la reconnaissance et le soutien des solutions fondées sur la culture (CbS) et le paiement des services verts.

L’Alliance des Réseau Ecclésiaux pour l’Écologie Intégrale, 2021; 6

Une vision intégrale de l’utilisation des terres 

Ensemble, le changement d’affectation des terres et la gestion forestière sont à l’origine d’un tiers des émissions cumulées. Ces phénomènes sont également responsables de la perte de biodiversité. En tant que tels, ils constituent des domaines de préoccupation majeure dans la planification des actions climatiques. Les initiatives climatiques doivent être conçues de façon à empêcher la dégradation des terres, à protéger les écosystèmes et les cours d’eau et à donner la priorité aux personnes plutôt qu’aux profits. 

La communauté de Los Prados, au Honduras, qui n’a pas un accès fiable à l’électricité, n’a été ni informée ni consultée avant la construction d’une importante ferme solaire. Ses habitants ont perdu des terres, des forêts et des sources de nourriture au profit du projet solaire dont la production d’énergie est vendue à profit sur le réseau énergétique de l’État. 

Nous avons vu comment le fait de privilégier les solutions économiques et technologiques au détriment des droits des personnes peut être nuisible, en particulier pour les populations déjà vulnérables. Les programmes d’énergie verte, les solutions fondées sur la nature et même les programmes d’adaptation et d’atténuation doivent être définis de manière à bénéficier à celles et ceux qu’ils affectent directement et à prendre en compte les points d’intersection entre le climat et le développement. 

Une attention particulière doit être accordée aux droits des peuples autochtones, qui sont les protecteurs de 80 % de la biodiversité et d’une grande partie des forêts de la planète. La simple consultation des parties prenantes dans les plans climatiques doit être remplacée par des approches qui collaborent véritablement avec les communautés locales et préservent le droit des peuples autochtones à exercer un consentement libre, préalable et éclairé. 

Le changement climatique implique de faire changer les cœurs et les esprits (une véritable métanoïa en termes de foi), changer les politiques et les pratiques vers une mentalité de « changement de système ». La COP26 doit prendre les premières mesures radicales pour établir un nouveau contrat planétaire inclusif et socialement juste, au-delà des objectifs matériels de « profit ».

L’Alliance des Réseau Ecclésiaux pour l’Écologie Intégrale, 2021; 6

Préparation de la COP26

Par Kathleen Cross, Chargée de campagne – plaidoyer et mobilisation

COP21 in Paris

Reportée en raison de la pandémie de COVID-19 l’an dernier, la 26e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) débute à Glasgow le 31 octobre.

Les mesures mises en place pour minimiser le risque d’infection, toujours présent, ont en réalité empêché de nombreuses personnes du Sud, qui sont les plus vulnérables au changement climatique, ainsi que plusieurs organisations de jeunesse, d’accéder aux salles de pouvoir de la conférence. Cela signifie que les décisions de haut niveau nécessaires à la COP26 pourraient être prises sans tenir compte des expériences, de l’expertise et des besoins des personnes les plus touchées.

État des lieux

La température moyenne de la planète a déjà augmenté de 1,1 °C depuis le milieu du 19e siècle. À la fin de l’année 2021, nous aurons utilisé 86 % du budget carbone pour avoir 50 % de chances de rester en dessous d’une hausse moyenne de 1,5 °C, la moitié des émissions totales ayant été libérées au cours des 40 dernières années seulement1. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévient que nous atteindrons probablement la barre des 1,5 °C au cours des 20 prochaines années2.

Les engagements pris avant la COP26 font état d’une augmentation des émissions mondiales d’environ 16 % en 2030 par rapport à 2010, ce qui entraînerait un réchauffement de 2,7 °C3. Ces estimations prévoient notamment que les températures mondiales dépasseront ce seuil avant de se stabiliser dans la « moyenne ». Cela aura des effets considérables sur les gens et la planète et nécessitera d’importants efforts d’atténuation, d’adaptation et de rétablissement.

Le Canada sur les principaux enjeux de la COP26

Le Canada est le 10e plus grand émetteur de carbone et le pire contributeur par habitant aux émissions qui affectent le climat4. Le Canada et les États-Unis sont les seuls pays du G7 à avoir augmenté leurs émissions depuis la signature de l’Accord de Paris, l’augmentation du Canada étant cinq fois supérieure à celle des États-Unis5. Le Canada doit de toute urgence cesser de financer l’industrie des combustibles fossiles et réorienter cet argent vers une transition juste au pays et à l’étranger.

Objectif de réduction des émissions : La contribution déterminée au niveau national du Canada en vue de la COP26 consiste à réduire les émissions de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. Cependant, le Réseau Action Climat estime que pour contribuer à sa juste part à l’objectif de 1,5 °C, le Canada doit augmenter cet objectif à au moins 140 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030

Financement de l’adaptation et de l’atténuation : Bien que le Canada ait annoncé en juin 2021 qu’il doublerait sa contribution au financement climatique pour atteindre 5,3 milliards de dollars canadiens au cours des cinq prochaines années, cet objectif est très loin de sa juste part, qui serait d’environ 4,2 milliards de dollars américains par an6.

Article 6 : La COP25 n’est pas parvenue à un accord sur les règles du marché du carbone en vertu de l’article 6 de l’Accord de Paris. Le Canada doit plaider en faveur de la transparence dans la comptabilisation des crédits et assurer de solides protections des droits de la personne, notamment ceux des peuples autochtones, dans le processus d’approbation. Des règles faibles ou ambiguës en matière d’échange de carbone ne feraient que créer une nouvelle économie du carbone au lieu de réduire globalement les émissions et pourraient perpétuer les approches coloniales en matière d’économie et de gestion des ressources naturelles, exacerbant ainsi les inégalités et les vulnérabilités existantes.

De la politique à la pratique

Étant donné que l’action climatique concerne principalement les droits de la personne, nous devons tenir compte de l’impact humain de toutes les politiques climatiques. Si l’action climatique est retardée, les phénomènes météorologiques violents qui aggravent l’insécurité alimentaire, les conflits et les migrations forcées se multiplieront. Les solutions climatiques peuvent également avoir un coût élevé. Les véhicules à émission zéro, par exemple, nécessitent l’extraction polluante de métaux de terres rares pour les batteries et les projets hydroélectriques déplacent, dépossèdent et appauvrissent souvent les communautés indigènes. L’Accord de Paris demande aux parties de respecter, de promouvoir et de prendre en compte leurs obligations en matière de droits de la personne, notamment le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des personnes en situation vulnérable, l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité intergénérationnelle. La COP26 doit faire progresser ces priorités dans toutes les politiques et veiller à ce que les négociations sur le climat tiennent compte du coût humain et environnemental de l’inaction et des actions prévues. 


[1] Carbon Brief, 5 octobre 2021 (disponible uniquement en anglais)

[2] Nouveau rapport du GIEC | Il est minuit moins une | La Presse.

[3] Rapport de synthèse actualisé sur les NDC de l’ONU, 25 octobre 2021

[4] Carbon Brief, 5 octobre 2021 (disponible uniquement en anglais)

[5] Center for Policy Alternatives, juin 2021 (disponible uniquement en anglais)

[6] Colenbrader et al., septembre 2021 (disponible uniquement en anglais)