Homélie prononcée par le cardinal Czerny lors de l’Assemblée d’orientation 2022

Développement et Paix – Caritas Canada a le plaisir de rendre disponible l’homélie prononcée par le cardinal Michael Czerny, S.J., lors de la messe qu’il a présidée le samedi 18 juin 2022 à la basilique-cathédrale Sainte-Marie de Halifax, en Nouvelle-Écosse, pendant notre Assemblée d’orientation.

Développement et Paix, Assemblée d’orientation 2022

Solennité de la Fête-Dieu
Gn 14,18-20; Ps 110; 1 Co 11,23-26; Lc 9,11b-17
Halifax, 18 juin 2022

par le cardinal Michael Czerny, S.J.

1. En cette solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, l’Évangile de Luc nous raconte le miracle de la multiplication des cinq pains et des deux poissons. Mais ce que ce passage nous montre réellement, c’est Jésus qui rencontre la foule.

Dans les Évangiles, les foules ont toujours l’aspect d’une masse anonyme. « Voyant les foules, écrit Matthieu, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger » (Matthieu 9,36). Les foules apparaissent comme des rassemblements d’hommes, de femmes et d’enfants dont personne ne connaît les noms et les visages. Cette multitude généralisée – humanité abstraite ou statistique – contraste avec les rencontres de Jésus avec des hommes et des femmes individuels qui, précisément à cause de son regard attentif, de son accueil total, de la relation personnelle qu’il établit avec eux, se découvrent rendus à leur dignité de personnes uniques, aimées de Dieu d’une manière singulière et inimitable. Pensons aux Apôtres, à la Samaritaine, à Zachée, à Marthe, Marie et Lazare, etc.

Pourquoi est-il important de nous concentrer sur cette rencontre ? Parce que ce qui transforme une « foule » en « peuple de Dieu », c’est la rencontre avec le Seigneur Jésus. Jésus fait passer les personnes d’une masse indéfinie et standardisée, sorte d’abstraction statistique, à la vie de Dieu, qui est communion et où l’unité ne gomme pas les différences et la diversité.

2. L’Eucharistie nous permet précisément de faire cette expérience : lorsque nous communions au Corps et au Sang du Christ, nous rencontrons personnellement Jésus, et le contact avec sa présence réelle dans le sacrement eucharistique nous rend notre dignité de créatures toujours aimées, toujours pardonnées. C’est pourquoi l’Eucharistie est inséparable du Baptême, car elle explicite et fait resplendir notre dignité d’« enfants de Dieu ».

En même temps – comme le disait Henri de Lubac – « l’Eucharistie fait l’Église », c’est-à-dire qu’elle nous fait prendre conscience que le salut nous atteint toujours en compagnie d’hommes et de femmes qui cheminent avec nous dans le temps et dans l’histoire aujourd’hui. Notre identité devant Dieu implique de reconnaître que nous sommes membres d’une « descendance choisie, d’un sacerdoce royal, d’une nation sainte, d’un peuple destiné au salut » (1 Pierre 2,9). C’est pourquoi l’Eucharistie est inséparable de l’autre sacrement de l’initiation chrétienne, la Confirmation : en nous constituant comme « enfants adoptifs », le Seigneur nous fait le don d’une fratrie dont nous sommes responsables, dont nous devons prendre soin.

3. Face aux besoins de la foule, les disciples sont tentés de les négliger. Ils exhortent le Maître à renvoyer la foule anonyme et à laisser chacune et chacun subvenir à ses besoins. Mais Jésus a une autre idée : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », dit-il, puis il intervient de manière spectaculaire, concrète et miraculeuse pour que cela se réalise.

Que signifient ces mots, « donnez-leur vous-mêmes à manger », pour ses disciples à l’époque et pour l’Église du Canada aujourd’hui ? Jésus enseigne à ses disciples à se mettre au service du bien commun, au lieu de chercher frileusement à se défiler.

Voilà justement la mission de Développement et Paix : au nom de l’Église du Canada, aller dans les foules étiquetées des monstrueuses abstractions qui épèlent les échecs et les injustices du monde – pauvreté, violence, violation des droits de la personne, dégradation de l’environnement, les « ismes » déshumanisants de toutes sortes – et leur apporter la présence aimante, guérissante, valorisante et transformatrice de Jésus Christ. Il en énumère lui-même les signes, à commencer par le miracle d’aujourd’hui : les affamés sont nourris, « les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle » (Luc 7,22). En somme, les orientations, les priorités et les programmes de Développement et Paix.

4. L’Eucharistie est le sacrement de l’amour qui se multiplie par le partage et qui nous incite à ne pas fuir, mais à intercepter la « faim » de la foule. Faim de nourriture, de sens et de finalité, de dignité, d’un horizon d’espérance. Faim de cette « humanisation » que Dieu seul peut satisfaire en ouvrant le chemin qui nous rend semblables à lui, car la plénitude de l’humain, c’est le divin. Faim de ce que Développement et Paix peut offrir.

Nous ne pouvons faire de l’Eucharistie un devoir individuel ou une simple pratique de dévotion, comme si elle ne concernait que mon itinéraire privé vers la perfection. L’Eucharistie concerne ma manière d’être avec moi-même, certes, mais aussi avec Dieu, avec mes frères et sœurs, avec le monde. L’Eucharistie, sacrement de la maturité du disciple, nous invite à tourner notre regard vers les « affamés », c’est-à-dire à faire nôtres les besoins matériels et spirituels des plus faibles. Lorsque nous communions au Corps et au Sang du Christ, c’est Jésus qui s’adresse à chacune et chacun de nous avec les mots qu’il a eus pour ses apôtres sur la défensive : « donnez-leur vous-mêmes à manger ». Ce n’est pas seulement une invitation à prendre en charge les plus fragiles, à les instruire et à nourrir leur esprit, à leur communiquer la joie de l’Évangile : c’est une invitation à être nous-mêmes « pain rompu », à offrir tout notre être comme un don destiné à l’immolation en nous unissant au don que Jésus fait de lui-même.

5. Dans la deuxième lecture, Paul évoque le sens profond de tout cela en employant le verbe « livrer » (paradidomi). Ce verbe, on peut aussi le traduire par « trahir ». La nuit de la dernière Cène, Jésus est trahi par Judas, qui le livre à des chefs violents et l’envoie à la mort de la croix. Mais c’est aussi un verbe théologique, car il exprime la manière dont Dieu le Père opère le salut dans le Christ : le Père nous livre le Fils comme un don, afin que dans son mystère pascal nous puissions recevoir la vie qui ne meurt pas et voir enfin Dieu face à face.

L’Eucharistie est toujours une « livraison » : Jésus se livre librement à nous dans l’Eucharistie de même que nous nous donnons librement au Christ dans la fratrie à laquelle il s’identifie totalement : « car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger » (Matthieu 25,35).

Cette « livraison », cette « remise » présente un paradoxe : elle est toujours don de la vie, don de Dieu à nous ; mais elle comporte le risque constant que nos péchés trahissent Dieu, notre prochain, nous-mêmes et notre maison commune.

C’est pourquoi, devant le Sacrement, personne ne peut jamais revendiquer un droit : l’Eucharistie est accueillie, elle est reçue, parce que nous ne méritons pas ce don : nous le recevons avec une totale gratitude. Prions pour que Développement et Paix reçoive, embrasse et renouvelle sa mission au nom de l’Église du Canada.

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