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Le procès de quelqu’un qui dit la vérité : défendre une journaliste hondurienne persécutée

Par Minaz Kerawala, Conseiller en communications et relations publiques

La correspondante de Radio Progreso, Sonia Pérez, a dû faire face à la persécution et à l’intimidation pour avoir écrit sur l’expulsion d’un groupe d’Autochtones Lencas de leurs terres au Honduras. (Radio Progreso)

La résolution 21/12 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies « invite les États à promouvoir un environnement sûr et favorable qui permette aux journalistes de faire leur travail de manière indépendante et sans ingérence excessive, notamment par des mesures législatives… ». Toutefois, au Honduras, les mesures législatives ont été utilisées pour persécuter plutôt que pour protéger une journaliste.

Une voix venant de la base

Sonia Pérez fait partie d’un réseau de journalistes honduriens de la base, formés et soutenus par l’Equipo de Reflexión, Investigación y Comunicación (ERIC – Équipe de réflexion, d’enquête et de communication) et Radio Progreso, avec l’appui de Développement et Paix – Caritas Canada. Ces correspondants ancrés dans les communautés jouent un rôle social crucial, celui de rapporter les problèmes et les événements qui se déroulent dans les milieux isolés et qui concernent les paysans pauvres et les peuples autochtones.

Le travail de journaliste de Sonia Pérez s’appuie sur la formation qu’elle a reçue dans le cadre d’un programme de diplôme en droits de la personne en milieu rural, organisé par CEHPRODEC, un autre de nos partenaires du Honduras.

Expulsion et arrestation

Le 18 mai 2022, Sonia Pérez est allée couvrir une opération policière à San José, dans le Département de La Paz. À la suite d’une plainte déposée par Juan Argueta, un puissant homme d’affaires local, le Bureau du Procureur général a ordonné l’expulsion d’une communauté autochtone Lenca de leurs terres à Nueva Palestina.

Ce jour-là, 70 agents de la police nationale, accompagnés de quelque 200 employés de Juan Argueta, ont violemment exécuté l’ordre d’expulsion, détruisant des maisons, des installations d’irrigation, des greniers de grains. Ils ont aussi arrêté Sonia Pérez et 30 autres personnes pour usurpation et pour modifications illégales de frontières.

Radio Progreso a contesté la revendication territoriale de Juan Argueta, en se fondant sur la reconnaissance du titre foncier du Conseil autochtone Lenca sur ce territoire par l’Institut agraire national en 1999, dénonçant aussi l’arrestation de Sonia Pérez pour l’unique raison d’avoir fait son travail (article en espagnol). Le Bureau du Procureur général a répondu qu’il ne criminalisait pas Sonia Pérez pour son rôle de journaliste, mais plutôt pour son rôle présumé dans un conflit foncier complexe (déclaration en espagnol).

Un schéma récurrent de violations

Les partisans de Sonia Pérez rétorquent que punir une journaliste à cause de son sujet constitue un abus en soi. Elle est défendue par une avocate d’ERIC, Dunia Pérez, qui a dit : « il ne fait aucun doute que le droit pénal est utilisé ici pour dissuader toute résistance légitime des peuples et des communautés autochtones déterminés à défendre leurs territoires. La Commission interaméricaine des droits de l’homme et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme se sont montrés inquiets d’un tel schéma de détournement du système de justice criminelle au Honduras. »

Je n’ai rien fait que dire la vérité… mais je me sens maintenant impuissante, menacée et dénigrée pour le travail que j’ai fait.

Sonia Pérez, correspondante de Radio Progreso

L’an dernier, Développement et Paix a signalé la défense par CEHPRODEC de Víctor Vásquez, un leader Lenca qui avait été poursuivi de la même manière pour avoir résisté à un accaparement de terres.

Une mesure de justice

Le 15 juin, un tribunal a relâché Sonia Pérez et les autres personnes détenues à condition qu’elles ne reprennent pas contact les uns avec les autres, ni avec Juan Argueta, qu’elles se tiennent loin de ce conflit foncier, et qu’elles aillent régulièrement signer le registre de police (article en espagnol). Un collectif des droits de la personne constate que cela a effectivement muselé Sonia Pérez, qui a affirmé que même si elle est une Lenca, elle ne fait pas partie du Conseil (article en espagnol).

ERIC a continué sans relâche de défendre ce dossier, et Radio Progreso l’a diffusé à l’échelle nationale. Puis, le Comité pour la protection des journalistes et la Coalition for Women In Journalism (articles en anglais) ont attiré l’attention de la communauté internationale sur cette affaire.

Finalement, à la fin de juin, un tribunal a annulé les accusations contre Sonia Pérez et ses coaccusés, arguant qu’elles étaient fondées sur une mauvaise interprétation de la loi et sur la non-reconnaissance du titre foncier du peuple Lenca (article en espagnol).

Soulagée, Sonia Pérez a déclaré : « Je connais les personnes du Conseil autochtone, et leur lutte est juste. Ils vivent sur ces terres depuis de nombreuses générations, et ces terres leur appartiennent. »

Une menace permanente

Bien que la cour leur ait donné raison, Radio Progreso rapportait en août que la communauté Lenca continuait de craindre pour ses terres et qu’elle se battait toujours pour se relever des perturbations et des destructions causées par les expulsions (article en espagnol).

Les problèmes de Sonia Pérez n’ont pas cessé non plus. Elle est encore harcelée par des médias hostiles qui adhèrent au récit de Juan Argueta. Elle a aussi constaté la présence d’étrangers intimidants autour de chez elle. Craignant pour la sécurité des siens, elle a temporairement quitté son domicile. De plus, elle craint toujours qu’il y ait un appel pour annuler son acquittement.

« Je n’ai rien fait que dire la vérité en rapportant une nouvelle » a-t-elle commenté, « mais je me sens maintenant impuissante, menacée et dénigrée pour le travail que j’ai fait. »

Notre réponse

ERIC et Radio Progreso font partie de notre projet Voix sans frontières pour la défense de la vie et du territoire, financé par le Ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec dans le cadre du programme Nouveau Québec sans frontières.

Mary Durran, chargée de programmes pour l’Amérique latine, explique : « Ce projet appuie les défenseurs des droits comme Sonia Pérez. Il offre une formation à un réseau de correspondants ruraux partout au Honduras pour couvrir les problèmes des personnes pauvres des communautés éloignées que les médias commerciaux ignorent le plus souvent, tout en venant en aide aux journalistes menacés. C’est une contribution majeure pour un journalisme indépendant. »

Grâce aux efforts d’ERIC, Sonia Pérez a pu être admise, en juillet dernier, dans un programme gouvernemental pour les défenseurs des droits de la personne menacés. Cela lui donne accès à une ligne spéciale d’assistance téléphonique de la police. Malheureusement, de telles mesures de protection personnalisées ne se sont pas avérées très efficaces dans le passé.

C’est pourquoi le directeur général de Développement et Paix, Carl Hétu, a écrit à l’ambassadrice du Canada au Honduras, Elizabeth Williams, afin de lui demander de présenter le cas de Sonia Pérez au gouvernement de ce pays. Il a présenté cette demande dans le cadre de l’engagement du Canada « à défendre les droits de la personne et la liberté de presse ».

En reconnaissance de ce soutien, Sonia Pérez ajoute : « Je suis touchée de votre sollicitude à mon égard. Cela me donne l’impression d’être moins seule, et que mon travail n’a pas été en vain. »

Comment vous pouvez aider

Vous pouvez aider Sonia Pérez en partageant son histoire afin de la faire mieux connaître. Vous pouvez aussi demander à votre animateur local comment lui faire parvenir des messages de solidarité.

Pour soutenir les défenseurs des droits de la personne à plus grande échelle, vous pouvez appuyer notre pétition demandant au gouvernement du Canada d’adopter des lois rigoureuses afin de prévenir les violations des droits humains et environnementaux commises par des entreprises de notre pays œuvrant à l’étranger.

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