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Le visage d’un système de prédation au Honduras: une réflexion sur le sommet de la COP15

Par le père Ismael Moreno, SJ, Équipe de réflexion, d’enquête et de communication

L’oiseau national du Honduras, l’ara rouge, symbolise la grande biodiversité du pays dont Padre Melo attribue le déclin aux systèmes économiques prédateurs. (Friedrich Böhringer/Creative Commons)

Au moment où débute la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité (COP15), qui se tiendra à Montréal, Québec, du 7 au 19 décembre 2022, nous vous présentons ce texte éditorial du père Ismael Moreno (appelé Padre Melo). Padre Melo était directeur de l’Équipe de réflexion, d’enquête et de communication ainsi que Radio Progreso, des organisations jésuites fusionnées dont le travail sur le développement communautaire et les médias d’intérêt public est soutenu par Développement et Paix – Caritas Canada. Grâce à son rôle continu au sein de ces organisations, il a une perspective unique sur la façon dont le peuple hondurien vit ces enjeux qui seront discutés à la COP15.

Dans l’hiver froid de Montréal, les personnes déléguées de 185 pays vont se retrouver à la COP15 pour discuter des meilleurs moyens de préserver la biodiversité et de vivre en harmonie avec la nature. Dans la chaleur tropicale de ma terrasse à El Progreso au nord du Honduras, je vais suivre ces discussions avec intérêt.

Mon pays d’Amérique centrale regorge de ressources biologiques terrestres, marines et d’eaux douces, qui sont toutes menacées actuellement par les activités humaines. La perte de biodiversité et l’accélération du réchauffement des températures au niveau mondial sont les symptômes d’un système prédateur qui, dans ma région, se manifeste par une crise combinant l’accroissement des inégalités sociales, la dégradation environnementale et l’affaiblissement de la démocratie.

Accroissement des inégalités sociales

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière de nombreuses inégalités qui étaient en partie cachées. La concentration du pouvoir et du capital dans des mains de moins en moins nombreuses, et l’augmentation massive du chômage et de la pauvreté semblent maintenant présager de l’avenir. Dans ces périodes de crise, les multinationales et les groupes puissants ne sont jamais perdants. Bien au contraire, leurs pertes sont assumées par l’État, donc par les communautés paysannes, autochtones et noires.

Au Honduras, la faible empreinte carbone des communautés afro-caribéennes Garífunas et leurs pratiques durables de pêche traditionnelle ne les ont pas protégées contre la dépossession de leurs terres par des projets d’écotourisme supposément « verts ».

Cette crise de l’accroissement des inégalités nous met au défi d’arriver à soigner les blessures infligées par le modèle néolibéral capitaliste, dont les dynamiques économiques produisent les inégalités, l’exclusion et la violence. Ce défi nous impose d’identifier et d’accompagner les populations affectées. Toute solution à la crise des inégalités doit prévoir la solidarité avec la petite paysannerie, les pauvres du milieu urbain, les peuples autochtones, les jeunes sans emploi et exclus, les populations migrantes, déplacées et réfugiées, ainsi que les femmes.

Celles et ceux qui subissent les impacts du néolibéralisme doivent faire partie de la solution. Aucun changement ne peut advenir sans qu’on s’engage prioritairement auprès des communautés qui subissent les conséquences de ces inégalités.

Augmentation de la dégradation environnementale

Plutôt que de provoquer une transition vers des programmes, des politiques et des pratiques plus favorables à l’environnement, ces crises ont favorisé une redistribution du capital en faveur des minorités puissantes, tout en refilant les pertes et les catastrophes sur le dos de la majorité opprimée. Les forces qui portent le néolibéralisme ne perdent jamais !

La dynamique de ce modèle dominant ignore délibérément tous les torts causés à la planète. Et lorsque certaines mesures correctives sont prises, elles jouent au mieux un rôle palliatif, et sont surtout créées pour apaiser les organisations internationales.

Dans mon pays, l’île de Zacate Grande dans le golfe de Fonseca regorge de biodiversité, protégée par les pratiques d’agriculture et de pêches durables des petits exploitants qui y vivent depuis les années 1950. Pourtant, l’État a remis ce territoire à quelques familles riches et célèbres en approuvant un décret qu’elles avaient rédigé. Ce décret présente l’île comme une zone protégée que les paysans sont en train de détruire. De façon perverse, ces paysans sont aujourd’hui criminalisés pour avoir « usurpé » la terre où ils sont nés !

Dans cette crise, plus le capital entre en jeu, plus la dépossession continue et plus l’extraction des ressources naturelles demeure un investissement prioritaire. La continuation des opérations minières dans les pays d’Amérique centrale déjà largement pillés, comme le Honduras, le démontre clairement. Les multinationales et les grandes entreprises poursuivent leur logique de dépossession des communautés autochtones et paysannes.

On peut s’attendre à une augmentation des conflits entre les défenseurs des droits humains et de l’environnement et les hommes d’affaires et les politiciens qui font la promotion des projets d’investissements agro-industriels, plus particulièrement d’extraction des ressources naturelles. L’eau deviendra une source de conflit grandissante et son contrôle définira qui, dans la société, dispose du véritable pouvoir.

« Il est de notre devoir de citoyennes et de citoyens de proposer des alternatives démocratiques émanant de la base à ce paradigme du pouvoir dominant qui méprise la démocratie, légitime la spoliation et accélère la perte de biodiversité et le réchauffement global. »

― Padre Melo

L’industrie extractive, ce n’est pas seulement le pillage des forêts, des rivières, de l’eau, des mines, les plantations industrielles de palmiers en Afrique ou la construction de barrages hydroélectriques. il est aussi de tout investissement qui recherche le profit en exploitant les ressources naturelles ou humaines, sans penser à leur régénération et sans prendre en considération les droits humains et les droits de la nature.

La crise de la dégradation environnementale entraîne un autre grand défi : celui de convaincre les divers acteurs de la société, les Églises, les défenseurs de l’environnement, les universitaires et les responsables politiques, de s’engager à protéger l’environnement et les droits de la nature, et d’agir en solidarité avec les communautés dépossédées ou menacées par des projets extractifs. Ce défi exige qu’on puisse faire de la recherche sur les projets prédateurs qui menacent l’environnement, et qu’on identifie les régions et territoires où les populations sont le plus menacées.

La défense de l’environnement et des territoires paysans et autochtones est incompatible avec les projets extractifs. Les experts en environnement, les activistes de la base, les universitaires et les chercheurs doivent se mettre ensemble pour formuler un plan environnemental qui protège les communautés et les droits de la nature, avec une vision ancrée dans le bien commun.

Affaiblissement de la démocratie

La démocratie s’est érodée graduellement au cours du siècle dernier. Plutôt que de favoriser des espaces de plus grande participation, la tendance, particulièrement en Amérique centrale, a plutôt été de fermer des espaces démocratiques et de consolider le pouvoir de caudillos, de dictateurs autoritaires.

Cette crise de la démocratie amène un troisième grand défi : celui de s’attaquer avec détermination aux questions politiques et d’identifier les facteurs qui affaiblissent les institutions et créent un terreau fertile au populisme, à l’autoritarisme et aux dictatures.

Il est de notre devoir de citoyennes et de citoyens de proposer des alternatives démocratiques émanant de la base à ce paradigme du pouvoir dominant qui méprise la démocratie, légitime la spoliation et accélère la perte de biodiversité et le réchauffement global. En ces temps incertains où les menaces à notre planète sont encore aggravées par les guerres, c’est à ce niveau que nous devons concentrer notre action.

Au Honduras, ces forces menacent les communautés Garifunas de la côte atlantique, elles permettent la spoliation de communautés à Santa Barbara par des compagnies minières multinationales et l’éviction de petits exploitants de la Zacate Grande par des hommes d’affaires prédateurs qui prétendent défendre la biodiversité.

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