Parcours pour la justice minière à Toronto

Par Dean Dettloff, Animateur pour le Centre de l’Ontario



Toronto est une ville minière.

La Bourse de Toronto répertorie environ 40 % des sociétés minières cotées en bourse dans le monde. Les bureaux des sociétés minières et de financement de l’industrie, ainsi que les bâtiments et les programmes universitaires portant la marque de l’industrie minière parsèment le paysage. Un institut universitaire de renom, un établissement de soins de santé essentiel et même un débat public prestigieux portent le nom de Peter Munk, le défunt baron minier qui a fondé Barrick Gold, la plus grande société d’extraction d’or au monde, qui a une longue histoire de violations des droits de la personne et de l’environnement dans les pays du Sud. Il est difficile de se promener dans la ville sans se rappeler que l’industrie a une grande empreinte ici.

C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (APCE) organise l’une des plus grandes conventions minières du monde chaque année à Toronto. Mais la convention de l’ACPE est rarement ininterrompue.

Poursuivant ses années d’intervention, le Réseau de solidarité pour l’injustice minière (MISN pour son acronyme anglais) a de nouveau élevé un piquet afin de protester contre les abus de l’industrie devant le congrès 2022 de l’ACPE. Développement et Paix ― Caritas Canada s’est joint à KAIROS, au Mouvement chrétien étudiant (SCM pour son acronyme anglais) et à d’autres chrétiennes et chrétiens lors de la manifestation du 13 juin 2022. Nos membres ont fait écho à une lettre écrite par notre partenaire péruvien, la Comisión Episcopal de Acción Social, adressée à l’ACPE, demandant une réglementation sur la diligence raisonnable. En tant que chrétien.ne.s solidaires des peuples du monde entier, nous avons cherché à être une voix prophétique dans le débat sur l’exploitation minière.

Bien que nous étions fier.e.s d’être présent.e.s et d’avoir mis en contact notre partenaire et l’ACPE, je n’ai pu m’empêcher de ressentir le besoin d’une plus grande participation des personnes de foi. Ce sentiment a été partagé par nos membres et ami.e.s du mouvement œcuménique.

Au cours de l’année suivante, nous avons travaillé avec KAIROS et le SCM pour constituer un groupe averti et le préparer à agir lors de la convention de l’ACPE de 2023.

Déterrer la justice : un groupe de lecture pour jeunes adultes

Nous avons pensé que si nous voulions demander des comptes à l’industrie minière, nous devions savoir de quoi nous parlions. C’est ainsi qu’en janvier 2023, nous avons créé un groupe de lecture pour jeunes adultes autour du livre Unearthing Justice : How to Protect Your Community from the Mining Industry (Déterrer la justice : Comment protéger votre communauté de l’industrie minière) de Joan Kuyek, fondatrice de MiningWatch.

Nous avons compris les liens entre l’exploitation minière et le colonialisme au Canada et dans les pays du Sud, comment fonctionne l’industrie et de quelle façon les gens ont tenté de s’y opposer. Nous avons été agréablement surpris de constater que Développement et Paix ― Caritas Canada et KAIROS étaient mentionnés dans le livre, pour notre campagne en faveur d’un ombudsman sur la responsabilité des entreprises.

En lisant le livre de Mme Kuyek, nous nous sommes sentis plus à l’aise pour parler de l’exploitation minière. Mais nous nous sommes aussi demandé ce que les personnes touchées par l’industrie minière disaient de celle-ci.

Des témoignages directs sur les abus miniers

Pour le savoir, nous avons organisé un webinaire (enregistré en anglais) le 16 février 2023, que Mme Kuyek a gracieusement accepté de présider. Des personnes de tout le Canada se sont rendues à ce webinaire pour écouter les points de vue de trois intervenant.e.s : Le père Dário Bossi, missionnaire combonien vivant au Brésil ; Loretta Williams, dirigeante élue des Xeni Gwet’in, l’une des six communautés Tsilhqot’in en Colombie-Britannique ; et le père Jacques Nzumbu, jésuite de la République démocratique du Congo qui étudie l’exploitation minière et les technologies vertes à Montréal. Malgré les grandes différences entre leurs contextes de vie, la plupart des propos des panélistes se résument à la même chose : l’industrie minière promet le développement, des emplois et un avenir meilleur, mais elle entraîne généralement la destruction écologique, le déplacement de populations et l’éclatement des communautés.

« On considère l’or comme un métal noble, mais son extraction est pleine de violence », a déclaré le père Bossi. Il a évoqué les destructions causées par l’exploitation minière pour le peuple autochtone Yanomami en Amazonie, l’effondrement d’un barrage de résidus miniers qui a tué 270 personnes, dont les familles n’ont pas toutes été indemnisées par Vale Inc, et la résilience des communautés qui se souviennent des victimes de l’exploitation minière et qui s’organisent pour obtenir justice.

Mme Williams a raconté les efforts continus de la nation Tsilhqot’in pour empêcher Taseko Mines Ltd. de pénétrer sur son territoire, afin de préserver la terre et les saumons de ses cours d’eau. Pour ce faire, une coalition de femmes des Premières nations, de membres de la communauté et d’experts a été mise en place. Au beau milieu de leur lutte, l’effondrement d’une digue à résidus à Mount Polley, dans la région voisine, a déversé des milliards de litres de déchets miniers dans une importante source d’eau douce et dans l’habitat du saumon. « À ce jour, la mine de Mount Polley continue de déverser des déchets dans ces eaux, dans le lac Quesnel, ce qui nous brise le cœur en tant que membres des Premières nations », a déclaré Mme Williams.

Le père Nzumbu a reconnu la nécessité d’une transition vers des technologies énergétiques vertes, mais a également averti que l’extraction du cobalt et du coltan, dont ils ont besoin, était à l’origine de conflits armés et de conditions de travail toxiques au Congo. “Nous sommes confrontés à l’impact considérable de ce type de minerais dans notre pays”, a-t-il déclaré en montrant des images de mineurs artisans, y compris des enfants, travaillant jusqu’aux genoux dans la boue. Les minerais qu’ils trouvent finissent dans les produits que nous achetons dans les pays du Nord, mais nous ne voyons jamais leur terrible coût humain et écologique.

Une présence priante et prophétique à l’ACPE

Inspiré.e.s par cette conversation et le travail d’organisation du MISN, nous avons décidé d’agir lors du congrès de l’ACPE en mars 2023. Nous nous sommes demandé ce que les communautés de foi pouvaient apporter d’unique à cette occasion. Nous avons décidé avec KAIROS et le SCM d’apporter une présence de prières. L’ACPE devait organiser un gala de remise des prix de l’industrie à l’hôtel Fairmont Royal York. Ce serait le cadre idéal pour une action prophétique. Alors que l’industrie minière se réunissait pour célébrer ses réalisations, nous nous réunissions pour célébrer la vie des personnes touchées par cette industrie.

Pour préparer nos cœurs, notre conseil diocésain de Toronto a organisé une veillée en ligne le jour de l’ouverture de la convention. Les membres ont prié, chanté et lu les noms de plusieurs victimes de l’exploitation minière dans le monde, en criant « Presente ! » après chacun d’eux, selon une tradition du Sud global qui affirme la présence continue des martyrs dans la mémoire collective.

Le mardi 7 mars, une quarantaine de manifestant.e.s issu.e.s de mouvements œcuméniques, de communautés issues de la diaspore et de la société civile ont accueilli les invité.e.s du gala de l’ACPE à l’extérieur de l’hôtel. Nous leur avons remis des cartes colorées portant une bougie commémorative, des informations sur les abus miniers et un lien vers une page web pour une lecture plus approfondie. Nous avons également chanté, prié et écouté les récits de membres des communautés péruviennes et philippines sur l’impact de l’exploitation minière dans leurs pays.

L’un de nos membres, Randy Haluza-Delay, a relu les noms figurant dans la veillée virtuelle, ce qui a de nouveau suscité des « Presente ! » Brandissant des pancartes portant des slogans reprenant la célèbre déclaration du pape François « Hands off Africa! (Retirez vos mains de l’Afrique !) », nous avons formé une « garde de la honte » devant laquelle celles et ceux qui allaient célébrer l’exploitation minière devaient passer pour se rappeler que les victimes de l’industrie n’étaient pas oubliées.

Certain.e.s délegué.e.s ont accepté nos cartes, d’autres sont passé.e.s à côté en détournant les yeux et d’autres encore se sont moqué.e.s de nous. En effet, les invité.e.s à un gala de remise de prix pour l’une des industries les plus violentes du monde n’étaient guère susceptibles d’être réceptif.ve.s à des rappels de la violence. Pourtant, nous sommes reparti.e.s avec l’humble espoir qu’au moins quelques-un.e.s d’entre elles/eux aient eu leur conscience touchée ou se soient arrêté.e.s pour réfléchir au coût de leur confort.

À la prochaine

L’exploitation minière est l’une des industries les plus dangereuses pour les défenseur.e.s des terres, les communautés en situation de vulnérabilité et les écosystèmes fragiles. Nos partenaires du Sud se plaignent constamment de la menace qu’elle fait peser sur les populations et la planète. En passant devant les monuments de Munk et les grandes banques de cette ville minière, je me pose souvent des questions : Qu’est-ce que signifie d’être un chrétien, solidaire des peuples du monde entier, vivant à Toronto ? Qu’est-ce que l’Évangile m’appelle à faire ? Comment devenir des porte-voix efficaces pour nos partenaires qui résistent chaque jour aux abus de l’industrie minière ?

Pour moi, ces questions restent ouvertes. Cette année, près de 24 000 personnes ont assisté à la convention de l’ACPE, dont des chefs d’État, des chefs d’entreprise et des étudiant.e.s. Face à ces chiffres, notre petite veillée de 40 personnes a tout de même réussi à faire vibrer quelques cordes sensibles ! La convention reviendra l’année prochaine, mais répondant à l’appel du pape François à entendre le cri de la terre et le cri des pauvres, nous reviendrons aussi, porteurs des histoires de nos partenaires et de l’amour de la création.

Notre parcours pour la justice minière se poursuit dans cette ville minière et au-delà.

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