Rana Plaza : cela ne doit pas être la norme

Par Veronica Stupecka, stagiaire, Développement et Paix ― Caritas Canada

De nombreux survivant·e·s de la catastrophe du Rana Plaza n’ont d’autre choix que de continuer à travailler dans l’industrie de la confection délocalisée au Bangladesh. (Narayan Debnath/DFID, Wikimedia Commons)

Développement et Paix ― Caritas Canada et d’autres organisations de la société civile se mobilisent pour commémorer les plus de 1 100 personnes qui ont péri dans la catastrophe du Rana Plaza en 2013. Nous demandons également au Canada d’adopter des lois strictes sur la diligence raisonnable. Cet éditorial fait valoir que de telles lois sont nécessaires pour mettre fin à l’impunité avec laquelle de nombreuses entreprises canadiennes et leurs agences et fournisseurs dans les secteurs de l’habillement et de l’extraction ne respectent pas les droits humains et l’environnement à l’étranger.

En 1989, Wendell Berry, un romancier, poète, écologiste, critique et paysan américain, a fait un discours de fin d’études au College of the Atlantic, un établissement du Maine qui se spécialise dans l’écologie humaine. Dans ce discours devenu célèbre, M. Berry a posé la question suivante : « Comment décrire la différence entre la guerre moderne et l’industrie moderne – entre, disons, le bombardement et l’exploitation minière intensive, ou entre la guerre chimique et la fabrication de produits chimiques ? » Il a répondu : « La seule différence semble être que, dans la guerre, la victimisation des êtres humains est directement intentionnelle et que, dans l’industrie, elle est ‘acceptée’ comme un ‘compromis’. »

Les conditions déplorables dans l’industrie manufacturière et minière dans les pays du Sud sont souvent considérées comme un mal nécessaire, voire inévitable, surtout lorsqu’elles impliquent des entreprises occidentales. Il est rare que l’on demande à ces entreprises de rendre des comptes, sauf en cas d’incidents mortels tels que les catastrophes du Rana Plaza (Bangladesh, 2013) et de la mine de Brumadinho (Brésil, 2019).

Cela ne doit pas être la norme. La prévention d’accidents mortels devrait être une priorité avant qu’une tragédie ne se produise. Ces deux catastrophes étaient prévisibles. Les travailleuses et travailleurs avaient fait part de leurs inquiétudes quant à l’intégrité structurelle du Rana Plaza, et la société Vale SA connaissait les vulnérabilités de la digue à résidus de Brumadinho.

Rana Plaza : la saleté sous les décombres

La catastrophe du Rana Plaza, qui a fait 1 134 morts et 2 581 blessé·e·s le 24 avril 2013, est considérée comme l’un des effondrements industriels les plus meurtriers de ces 100 dernières années. La plupart des victimes confectionnaient des vêtements pour des entreprises occidentales de mode rapide (fast fashion) qui s’appuient sur une fabrication rapide et à faible coût et sur des ventes rapides, bon marché et en grande quantité. Ces entreprises délocalisent généralement leur production dans des pays comme le Bangladesh, où les restrictions en matière de travail et les salaires sont beaucoup moins élevés et où la surveillance est moins rigoureuse.

Après l’effondrement du Rana Plaza, des informations sont apparues sur les conditions de travail compromises et la négligence des bâtiments. De nombreux analystes et militant.e.s accusent les grandes entreprises qui privilégient la surenchère dans la production et le profit au détriment de conditions de travail décentes. Les ouvrières et les ouvriers du Rana Plaza travaillaient de longues heures pour 35 à 60 dollars par mois dans des conditions indignes.

Le trajet à parcourir

Certaines améliorations ont été constatées au Bangladesh et dans d’autres pays dotés de grands centres de production textile. De nombreuses marques ont signé l’Accord international sur la santé et la sécurité dans l’industrie du textile et de la confection, qui contribue à responsabiliser les entreprises sur les conditions de travail et à offrir des compensations aux travailleuses et travailleurs victimes d’abus. Cela s’est manifesté par l’indemnisation accordée aux familles des victimes du Rana Plaza. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer que l’indemnisation soit adéquate et qu’elle ne soit pas basée sur les normes actuelles de bas salaires du secteur.

Malgré quelques avancées, deux problèmes se posent. Premièrement, de nombreux géants comme IKEA et Auchan n’ont pas encore signé l’Accord international et son extension pakistanaise. Deuxièmement, ces accords expirent en octobre 2023. Ils doivent être renouvelés avec davantage de signataires et un champ d’application plus large pour aborder des questions telles que les bas salaires, la violence basée sur le genre, l’impact sur l’environnement et l’impunité des sous-traitants.

De la mode aux mines

L’absence de contrôle des activités à l’étranger des entreprises occidentales ne se limite pas à l’industrie de la mode. Il s’étend également à des secteurs tels que l’exploitation minière, dont le Canada est l’un des principaux acteurs. Pourtant, le gouvernement canadien n’a que quelques politiques concrètes pour protéger les travailleuses et travailleurs à l’étranger contre les abus des entreprises canadiennes.

La catastrophe du Rana Plaza illustre l’insuffisance des mesures existantes, qui sont principalement des lignes directrices reposant sur le respect volontaire, pour protéger les droits, la sécurité et l’environnement.

Il est temps d’adopter une loi de diligence raisonnable contraignante en matière de droits humains et d’environnement. Une telle loi atténuerait les risques en obligeant les entreprises canadiennes à évaluer, signaler, prévenir et réparer les violations des droits de la personne et les atteintes à l’environnement dans l’ensemble de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales. Elle aiderait également les victimes d’abus commis à l’étranger par des entreprises canadiennes ou leurs fournisseurs à obtenir justice devant les tribunaux canadiens.

Il s’agit d’un impératif, car comme le révèlent de récentes études réalisées par le Réseau canadien pour la reddition de compte des entreprises, trop de sociétés canadiennes du secteur de la mode et de l’exploitation minière ne sont pas tenues responsables de pratiques répréhensibles répandues. Les travailleuses et travailleurs victimes de ces entreprises sont rarement indemnisés de manière adéquate et doivent souvent continuer à travailler dans des conditions abusives.

Une responsabilité morale

Les personnes qui ont travaillé au Rana Plaza ont approvisionné plusieurs marques de prêt-à-porter canadiennes. Pourtant, la protection des droits de la personne n’est guère plus qu’une suggestion pour les entreprises canadiennes.
Il est de notre responsabilité de demander des comptes à ces entreprises. Mais comment y parvenir, compte tenu des difficultés à mettre en œuvre des changements substantiels et durables pour les travailleuses et travailleurs dont les moyens de subsistance dépendent d’industries potentiellement problématiques ?

L’amélioration peut commencer par la responsabilisation préalable des entreprises au moyen d’accords tels que l’Accord international, qui prévoit des conditions de travail sûres et une meilleure surveillance des chaînes de production. De tels accords peuvent et doivent fonctionner en tandem avec des secteurs comme l’exploitation minière, qui sont confrontés à des problèmes similaires de conditions de travail dangereuses et injustes, notamment dans les pays du Sud.

C’est à nous, les citoyennes et citoyens des pays occidentaux comme le Canada, où les entreprises coupables sont souvent basées et vendent la plupart des biens produits dans des conditions abusives, de mettre en place des structures et des lois solides pour garantir la justice pour les travailleuses et les travailleurs du monde entier.

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