Une visite de solidarité bien inspirante

Par Philippe Lafortune, animateur pour le Centre et Sud du Québec

Au cours de sa visite de solidarité de deux semaines, Raquel Soto s’est adressée à des centaines de nos membres et sympathisants, dont ce groupe à une église à Laval, au Québec.

Le soleil se lève, les oiseaux s’envolent. Voici le jour qui commence lentement et avec lui, tout le village qui s’éveille, brusquement. Car ce n’est pas maman qui ce matin vous tire du lit, mais bien un homme armé : « Vous avez trente minutes » pour tout quitter, sans rien emporter, sinon seulement le souvenir vivace de votre terre natale et surtout l’espoir d’y revenir un jour.

Se retrouver à nouveau

María Raquel Soto Ramírez n’était encore qu’une enfant quand la guerre l’a arrachée à sa terre natale – deux fois plutôt qu’une – avant de lui enlever son père, une des 220 000 victimes d’un conflit meurtrier qui dure depuis 50 ans. Si les accords de paix de 1996 et l’élection d’un premier gouvernement de gauche en 2022 nourrissent l’espoir d’un retour à la normale, le chemin du changement reste un bien périlleux parcours. L’histoire de Raquel, c’est aussi celle de la Colombie.

Sous la pression des entreprises privées et avec la complaisance des autorités, des communautés entières sont encore dépossédées de leurs droits fondamentaux et de leurs terres ancestrales, alors que leurs leaders sont menacés, emprisonnés, attaqués et assassinés impunément pour avoir seulement défendu l’eau et la terre dont ils dépendent pour vivre.

Je viens d’un pays qui se reconstruit chaque jour, qui tente de surmonter une longue guerre qui nous affecte toutes et tous, qui nous a dépouillés de nos terres, qui nous a enlevé nos proches et les leaders sociaux qui dénoncent les injustices, mais aussi qui a motivé la rencontre, la participation et l’organisation des communautés qui souffrent des conséquences du conflit.

Raquel Soto, cinéaste militante

Digne paysanne du nord de la Colombie et fière animatrice au Centre de formation documentaire de l’Association paysanne d’Antioquia (ACA, site web en espagnol), partenaire de Développement et Paix ― Caritas Canada depuis 2003, Raquel initie les jeunes aux techniques audiovisuelles pour raconter leur histoire. La création documentaire offre ainsi une alternative prometteuse que les armes ne permettaient pas.

Face à l’incertaine politique de la guerre, l’ACA propose plutôt une certaine poétique de la terre. Dans un pays qui recèle 10% de la biodiversité mondiale également menacée, « la terre est une bonne professeure. Elle enseigne la patience, la persévérance, la reconnaissance pour toute cette abondance » qui risque de se perdre quand elle n’est pas protégée ni partagée. Encore faut-il apprendre à l’écouter – pour mieux la connaître. Comme Raquel Soto.

Présente au lancement virtuel du Carême de Partage 2023 de Développement et Paix ― Caritas Canada, Raquel est aussi le visage de la campagne Solidaires pour la Terre… et notre première visiteuse de solidarité en près de cinq ans. Voici enfin l’heure de la rencontrer en personne.

Solidaires pour la Terre

Raquel est arrivée au Québec avec le printemps. Seulement vingt-quatre heures après son atterrissage, elle s’adressait déjà à trois cents personnes réunies à l’Église La Nativité de La Prairie pour un concert-bénéfice au profit de Développement et Paix ― Caritas Canada.

Après les présentations d’usage, les prestations musicales et la projection vidéo, la question se pose : Comment continuer face à tant d’adversité ? « La prière et la foi nous ont permis d’affronter notre deuil, de consoler nos esprits et de poursuivre notre chemin, de retourner dans nos territoires pour pouvoir semer à nouveau l’espoir. »

Voilà qui marquait le thème, le ton et la portée de sa visite de solidarité qui l’a conduite de Montréal à Moncton en deux semaines seulement. Lors de ses partages auprès des membres du Conseil national ou de la Société des Missions-Étrangères, Raquel multiplie ses touchants témoignages où elle martèle le même message.

Apprendre à croire en soi, à construire ensemble, à contribuer selon ses compétences… Par exemple, « nous développons dans cinq municipalités des espaces d’éducation et de création artistique avec des familles paysannes, coordonnés et dynamisés par des femmes de ces mêmes communautés qui ont été formées au processus. »

Pour les membres et sympathisants de Développement et Paix ― Caritas Canada qui n’auraient pu assister aux présentations de Raquel, un webinaire national lui a aussi permis de partager son expérience d’un océan à l’autre.
Entre ses rencontres publiques et entretiens privés, Raquel découvre et capture, caméra à l’œil, le paysage naturel et culturel du Québec : le Mont Royal et le Vieux Port, la Basilique Notre-Dame et la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde, L’Authentique cabane à sucre et même le documentaire La Vie est un Cirque présenté dans le cadre du Festival international des Films sur l’Art.

La caméra au service d’une cause commune

La créativité est en effet un puissant outil, un véhicule privilégié pour explorer et partager toutes les richesses et la diversité de l’environnement naturel et de l’esprit humain. Surtout quand il s’agit de questions essentielles, existentielles, sensibles, sinon subversives – comme celle de vouloir vivre, simplement, ensemble et en sécurité, sur la terre de sa naissance et de ses ancêtres.

En ce sens, la présence de Raquel aux Rendez-Vous de l’International de l‘Université de Montréal et du Monde illustre bien l’essence de son engagement. L’événement proposé sous le titre La création documentaire comme outil de défense de la vie et du territoire en Colombie constituait pour notre invitée une occasion renouvelée de présenter à la communauté universitaire son documentaire intimiste intitulé Me retrouver à nouveau, disponible en version courte et longue.

Dans la même veine, Raquel a aussi pu découvrir une communauté de pratiques sans frontières avec l’équipe de la Wapikoni. Ce studio ambulant de formation et de création audiovisuelles a ainsi offert des ateliers immersifs et interactifs à plus de 5 000 jeunes d’une centaine de communautés autochtones. Les quelque 2 000 œuvres musicales et cinématographiques produites depuis 2004 racontent et révèlent ainsi leurs réalités, leurs rêves et leur créativité. Comme quoi nos sœurs et frères d’ici comme du Sud affrontent et relèvent des défis à la fois uniques et universels.

« Je viens d’un processus collectif, » confie Raquel. « Depuis que je fais partie de l’École de création documentaire de l’ACA, c’est comme si je me retrouvais, comme si je vivais à nouveau. » Après une enfance teintée de violence, « c’était la seule occasion de faire quelque chose de différent, de pouvoir rêver et créer à partir du territoire lui-même, ce qui est totalement nouveau pour nos communautés privées d’opportunités quand l’éducation n’atteint pas les campagnes. »

L’idée, c’est d’utiliser les technologies audiovisuelles comme outil d’apprentissage et de partage pour contribuer à développer ses compétences (sociales, techniques, artistiques), sa confiance (en soi, en l’autre) et un certain « sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand » – la communauté. Dans la foulée, on découvre des richesses, des valeurs et une culture communes.

« L’art nous a permis de comprendre et d’appréhender notre propre histoire, » apprécie Raquel, « de construire la mémoire, de valoriser et d’admirer la force de nos mères, de nos communautés, de redimensionner la beauté des territoires que nous habitons, d’exprimer nos préoccupations, nos réflexions et nos propositions, de transformer nos vies et nos environnements. »

Les créations des Productions El Retorno (Le Retour, voir canal YouTube en espagnol) et du réseau paysan RÍOVERDE de réalisatrices et réalisateurs de documentaires sur la biodiversité auxquels participe Raquel, permettent de dévoiler les richesses des communautés et de dénoncer les menaces auxquelles elles sont confrontées : déplacements forcés, déforestation, détournement des ressources…

Si une image vaut mille mots, chaque munition en vaut zéro. Dans un pays ravagé par la guerre, il faut du courage pour préférer prendre la caméra plutôt que les armes. Pour filmer et photographier les richesses de la nature et leurs cultures afin de les partager et ainsi mieux les protéger. Pour raconter son histoire, révéler son quotidien et créer son avenir.

Un monde sans frontières

Pour conclure le volet montréalais de sa tournée, Raquel a pu participer à l’événement public intitulé Du Sud EAU Nord : Les communautés locales au cœur de la défense de la vie et du territoire, organisé à la Maison du Développement durable dans le cadre de la Journée mondiale de l’Eau.

Animé par Félix Molina, chercheur, journaliste et administrateur au Comité pour les Droits humains en Amérique latine, l’événement a aussi accueilli Elvin Hernández, enquêteur à l’Équipe de Réflexion, d’Investigation et de Communication (ÉRIC) – Radio Progreso (voir site web en espagnol) l’un de nos partenaires au Honduras.

Dans ce petit pays d’Amérique centrale parmi les plus violents de la planète, la défense de la justice est un métier aussi dangereux qu’essentiel, comme en témoigne le cas d’école de la Rivière Guapinol (lire l’article en anglais) où les communautés locales sont confrontées aux projets et aux rejets miniers.

Là où l’ACA utilise l’audiovisuel comme outil d’éducation, de développement et de défense des droits de la personne comme de la nature, l’ÉRIC emploie la radio communautaire (voir canal YouTube en espagnol) pour documenter, diffuser et dénoncer les infractions aux droits humains et environnementaux.

Présent en direct du Honduras à trois événements de cette tournée de Raquel, notre partenaire Elvin sera l’invité de solidarité pour la campagne d’automne de Développement et Paix ― Caritas Canada. Comme Raquel, il ira à la rencontre des membres et du public d’ici pour discuter des enjeux de justice.

Partenaires de longue date de Développement et Paix ― Caritas Canada, l’ACA en Colombie et l’ÉRIC au Honduras bénéficient aussi de l’appui financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) à travers son programme Nouveau Québec sans frontières (NQSF). C’est grâce à cet appui que la visite de solidarité de Raquel au Québec a été rendu possible afin de contribuer au volet d’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM).

Si le projet Voix Sans Frontières pour la Défense de la Vie et du Territoire permettra de rejoindre directement plus de 1 800 personnes et environ 500 000 personnes de manière indirecte, les visites de solidarité de nos partenaires créeront aussi des opportunités d’échange, d’apprentissage, de réseautage, de solidarité, de justice… et de changement. La visite de Raquel au Québec, comme le travail de l’ACA en Colombie, est un autre exemple de la solidarité à l’œuvre : des communautés qui s’organisent, comme à Antioquia; des groupes citoyens d’ici qui se mobilisent partout au pays; des chargées de programme comme Anne Catherine Kennedy qui les appuient et surtout, un mouvement de membres, des personnes dévouées et engagées à l’année dans leurs communautés.

« Ce que nous faisons [en Colombie] est possible grâce à vous, » rappelle Raquel, reconnaissante. « Même chose pour nous, » répond monsieur Lebel, visiblement ému. « C’est bon de rencontrer celle pour qui on se mobilise ici. »

Raquel repart déjà, mais son message restera. Tout pour confirmer notre mission, redonner confiance et courage dans nos actions et pour continuer à Nourrir l’Espoir.

Tout comme l’eau de nos rivières et les Oiseaux de Notre Terre (document en espagnol),
l’espoir, l’esprit solidaire et le pouvoir de l’imaginaire
ne connaissent aucune frontière.

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